Felice Varini

Si l’on peut arguer que toute œuvre doit être ressentie physiquement, celles de Felice Varini vérifient particulièrement l’adage. Incursions magiques dans le réel, les toiles du peintre se confrontent et se confondent avec l’espace architectonique et urbain. Exit le cadre traditionnel de la peinture : l’artiste déploie son œuvre in situ et puise à la source de l’abstraction et de l’art conceptuel la logique d’une pratique formidablement concrète et matérielle. « En général, je parcours le lieu en relevant son architecture, ses matériaux, son histoire et sa fonction. À partir de ces différentes données spatiales et en référence à la dernière pièce que j’ai réalisée, je définis un point de vue autour duquel mon intervention prend forme. »

Son vocabulaire formel, en place depuis son installation en 1978 à Paris, demeure simple et géométrique : carrés, triangles, ellipses, cercles, rectangles ou lignes droites traversant le paysage ou l’architecture.

« Ces compositions appellent les trois couleurs primaires, des couleurs secondaires, et du noir et blanc. Mes peintures apparaissent d’abord à la personne sous forme d’un tracé déconstruit qui ne lui évoque rien de familier ni de connu, d’où la perturbation. Par le déplacement du corps, le tracé initial vient à apparaître progressivement dans sa forme composée. L’œuvre lui procure l’illusion de se construire sous ses yeux. » Ce rôle actif du regardeur renseigne sur les qualités paradoxales de cette peinture : à la fois définie par sa planéité unifiée et riche de mille et une fragmentations tridimensionnelles, à la fois réflexive – ne représentant qu’elle-même dans la pure tradition moderniste – et débordant sans cesse sa forme initiale pour accentuer la réalité qui la porte.

L’expérience est indéniablement ludique : en parcourant le Couloir des illusions du château d’Oiron, le visiteur découvre quatre segments qui étirent leurs lignes bleues sur les ressauts, les vitres, les portes et les modénatures. Cherchant la position qui ordonnerait cette vision éparse, il trouve la solution dans un miroir posé au sol, où les lignes reconstituent un cercle parfait selon quatre points de vue précis.

Ce type de jeu visuel, hérité de la Renaissance et des expérimentations sur les perspectives et leurs aberrations, amorce une réflexion plus large sur la fonction de la peinture : telle l’anamorphose, les tracés cachés de Felice Varini ne se révèlent que dans une forme apparemment contradictoire de contemplation dynamique. Une réflexion sur la vision qui motive pareillement sa pratique photographique : ses prises de vue démasquent l’envers du décor (un jardin que dissimule une clôture, la ligne d’horizon que masque un bâtiment de grande hauteur) ou jouent de décalages temporels (un chemin enneigé par l’hiver exhibé au plein coeur de l’été) sur des échelles parfois modestes, parfois monumentales (à Mexico, 5 kilomètres d’images défilant non stop à travers les pare-brise des millions d’usagers du periferico).

Il est encore ici question de point de vue, de mise au point et de cadrage de la réalité, la grande affaire de Varini étant de provoquer sensiblement « une tension entre le local et le global, ou, pour utiliser une terminologie chère à Michel Serres, entre le paysage et le dépaysement, entre la randonnée et la méthode1. ».
– –
www.varini.org
– –
Note
1. Bernard Fibicher, extrait du texte Perspectives particulières et lieux communs, consultable sur le site de l’artiste.
– –
Portrait © Éva Prouteau – Revue 303 n° 106, “Estuaire, le paysage l’art et le fleuve”, 2009

Œuvres