Lilian Bourgeat

Depuis plus de dix ans, Lilian Bourgeat confronte son travail à la problématique de l’agrandissement de l’objet. “Pourquoi faire grand ?” semble- t-il nous dire à travers son inventaire d’objets du quotidien surdimensionnés. L’auteur liste de nombreux exemples d’art « bigger than life », du Sphinx de Gizeh aux Bouddhas de Bâmiyân (détruits par les Talibans), des cônes de signalisation routière de Dennis Oppenheim aux sculptures d’autoroute, en passant par Claes Oldenburg & Coosje van Bruggen et aussi Jeff Koons. « Alors que l’art n’est plus soumis à un devoir d’édification morale ou de glorification des pouvoirs, alors que l’artiste a gagné sa liberté au long de la modernité pour s’affranchir de l’obligation d’illustrer et accompagner un programme idéologique… pourquoi continuer à faire grand ? ». Dans le champ du monumental, on creuse pour de multiples raisons, qui n’ont en tous les cas plus rien d’original aujourd’hui.

Quand Lilian Bourgeat décide de produire un parpaing géant ou un porte-bouteille de six mètres de haut, c’est comme s’il s’appropriait toutes les lectures que l’histoire de l’art a déjà produites sur la catégorie XXXL. Ainsi, l’objet surdimensionné serait pour lui un cheval de Troie pour déployer la réflexion vers de multiples directions. Du folk art des installations de ronds-points aux immenses productions des foires d’art contemporain, l’exégèse des discours sur le “grand” semble ainsi compactée dans ce travail plus complexe qu’il n’y paraît. D’où certaines cohabitations a priori paradoxales, entre érudition et idiotie amusante, communication spectaculaire et enchantement autodidacte, séduction et rejet. Bien sûr, l’échelle saisit, tout comme fascine le geste de reproduction. L’artiste « fait image », caresse l’oeil par la familiarité mimétique et le savoir-faire bluffant. En même temps, il vise la déstabilisation des repères davantage que l’enchantement du monde : dans le sur-dimensionné, l’artiste ne recherche pas vraiment l’émerveillement, mais plutôt le levier d’une stratégie plus retorse, qui induit le piège physique du spectateur, son terrassement mental aussi.

Bourgeat fait vaciller l’alentour de l’oeuvre, souligne le caractère inadapté de l’être humain dans un tel environnement, et désamorce toute prétention de lecture univoque. Les bottes présentées à la Fiac en 2006 parlent de cette ambivalence du signe : magiques chausses de sept lieues déposées là comme par un géant vert, elles sont désignées par le titre sous le terme d’invendus, deux pieds gauches dépréciés qui renvoient aussi au double non-fonctionnement de l’oeuvre, à l’asymétrie, à la sculpture ratée…

Ainsi, qu’il convoque des objets ludiques voire pop (lunettes 3D, punaises aux couleurs rutilantes), des usages relationnels (gobelets à manipuler par le public, ou salon de jardin « empruntable » lors d’un Dîner de Gulliver) ou bien des outils qui renvoient au labeur ordinaire, Lilian Bourgeat offre surtout à voir des principes d’inadéquation.

Portrait © Éva Prouteau – Revue 303 n° 106

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